Les Etats-Unis et le monde : la question de la Révolution Russe ( 1917 – 1933 )

Les Etats-Unis et le monde : la question de la Révolution Russe ( 1917 – 1933 )

 »En temps de révolution, qui est neutre est impuissant » disait Victor Hugo. C’est un constat qui est dépassé.Tout d’abord, avant même de commencer, il s’agit en premier lieu de définir le cadre strict du sujet : nous traitons de la Révolution d’Octobre ( Red October), et non pas celle de Février qui entre cependant bien en compte, qui se voit poursuivre, sous l’égide du gouvernement Kerenski, la poursuite du conflit ; il ne s’agit non pas de raconter la Révolution Russe selon le point de vue américain, mais de la situer par rapport à ceux-ci. Celle-ci, se déroulant la même année ou les Etats-Unis entrent en guerre contre la Triple-Entente, marque un nouveau questionnement pour les Etats-Unis : quelle attitude faut-il adopter avec le nouvel Etat en formation, et quels en sont les répercussions dans le territoire national, marqué par d’importants mouvement ouvriers et dont l’idéologie communiste peut possiblement se rapprocher ? Il s’agit là d’un cas unique pour les Etats-Unis : la Russie tsariste est un pays  »ami », mais est marqué par une monarchie très puissante. Symboliquement, la Révolution de 1917 se rapproche des idéaux de 1776, mais les temps ont changé, comme les idéologies. De fait, il s’agit de voir, en premier lieu, une réaction américaine défavorable, notamment du côté de l’establishement. Dans un second temps, il faut également percevoir une réaction  »contradictoire », plus favorable, percevant une opportunité pour les Etats-Unis.

1 ) Une réaction américaine hostile

Etant donné l’implication américaine dans le conflit mondial, les Américains n’accueillent pas favorablement cette révolution.
Les Américains, selon Waldemar Gurian, étaient tout d’abord favorables et enclins à soutenir le régime démocratique de Kerenski. Wilson exécrait le tsar et le régime autocratique, et Kerensky souhaitait continuer de s’impliquer dans le conflit. Les Etats-Unis execraient le pouvoir autocratique tsariste .Mais, dès la chute du gouvernement Kerensky, une certaine ambiguité s’installe. Tout d’abord, on constate une opposition énergique au régime de Lénine et aux idées marxistes et anticapitalistes, absolument opposées au système américain. Le gouvernement a peur des répercussions parmi les Afro-américains, puisque l’idéologie communiste prône l’égalité de tous les hommes quelque soit leur race, et surtout parmi les ouvriers. L’annulation de la dette internationale en 1918, les accords de Brest-Livotsk signées le 3 Mai de la même année et l’opposition radicale au capitalisme et aux dogmes religieux inquiètent les Etats-Unis, qui y voient une franche hostilité. Sur le terrain politique, ils semblent que les Démocrates comme les Socialistes ou Républicains sont opposés : on parle même des Bolcheviks comme  »terroristes destructeurs ».
La sortie de la guerre déplaît fortement au gouvernement Américain.. De fait, l’éclatement de la Guerre civile dès 1917 dans la nouvelles URSS voit l’envoi de 10 000 soldats américains de concert avec les Anglais et les Français, à Arkhangelsk et à Vladivostok, pour combattre les Bolcheviques. Pour le président Wilson, le régime bolchevique résulte d’une instrumentalisation allemande, et s’inquiète aussi des conséquences possibles dans le monde. Toutefois, l’intervention conjointe est un échec, et Wilson propose de laisser la Russie aux Bolcheviques puisqu »’ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages ».Néanmoins, Wilson envoie un ambassadeur, Bullitt, négocier avec Lénine, notamment pour fixer le  »cordon sanitaire » avec les nouveaux pays de l’Ouest. Mais en 1921, tout est fini, et la résistance des Blancs est un échec. Il faut attendre 1933 pour que les Etats-Unis reconnaissent l’URSS comme un Etat légitime.
De fait, certains journalistes vont exacerber la xénophobie. Le gouvernement et l’establishement américain craignent l’implantation du communisme dans les syndicats ouvriers. En outre Industrial Workers of the World (IWW) soutient plusieurs grèves en 1916 et 1917 que la presse décrit comme une menace radicale à la société américaine inspirée par des agents étrangers provocateurs. Ainsi, la presse parle de « crimes contre la société », « complots contre l’État » et « tentatives pour établir le communisme ».On craint des émeutes ouvrières, comme à Haymarket Square en 1886 ou encore des grèves générales augmentées, comme celle du Colorado en 1913 . De fait, dès qu’un attentat se produit, on soupçonne les Communistes, comme en avril 1919 contre 36 membres du Congrès. En Avril 1918, Woodrow Wilson dépêche le Congrès d’expulser les immigrants communistes. C’est la Red Scare. On parle d’un  »syndicalisme criminel ». L’inquiétude est palpable : en 1919, on recense 4,1 millions de grévistes, et les affrontements sont violents, comme à, Boston. Le climat anarchiste est lourd. Explosions en 1925 devant chez le maire de Boston et celui de Seattle. De fait, il y a de nombreux élans anticommunistes et anti-immigrés, tout particulièrement comme l’illustre l’affaire Sacco et Vanzetti, en 1927. Le Communisme semble lié à  »l’anarchisme » et représente une réelle menace.
De fait, la Révolution Russe semble exacerber un mépris contre l’extrême gauche aux Etats-Unis, et l’opposition catégorique de l’opinion américaine. Cela semble être l’antagonisme du capitalisme américain.
2 ) Une réaction contradictoire : intérêts et opportunité
Toutefois, il faut nuancer ce propos, car les Etats-Unis ne sauraient se résumer à  »une opinion » en particulier, et que la liberté d’expression, fondamentale dans ce pays, couvre une autre réalité.
– Pour cela, il est nécessaire de souligner toute l’importance qu’a eu John Reed. Celui-ci est un journaliste américain qui s’est rendu en Russie au moment de la révolution, en Novembre 1917. Celui-ci est connu pour ses opinions de gauche : pour avoir pris le parti des grévistes et des militants de l’Industrial Workers of the Work (IWW), il est jeté en prison. Il se rend avec son épouse Louise Bryant en Russie, et en revient  »émerveillé », comme il l’écrit dans son ouvrage Dix jours qui ébranlèrent le monde :

Le succès des bolcheviks n’a qu’une seule explication : ils ont réalisé les vastes et simples aspirations des plus larges couches du peuple qu’ils appelèrent à démanteler et à détruire le monde ancien pour entreprendre ensuite, tous ensemble, dans la fumée des ruines écroulées, l’édification de la charpente d’un monde nouveau.

Il s’agit d’une voix dissidente, qui exercera une certaine influence sur les syndicats américains. Aussi, en 1919, le Parti Socialiste Américain connaît une scission ; sous l’influence de Lénine et de l’Internationale Communiste ( 2 mars 1919 ), le Parti communiste est créé aux Etats-Unis le 2 Septembre. Néanmoins, il est essentiellement composé d’immigrés : 10% des membres savent l’anglais. Ce parti dépend directement du Komintern, et se lie aussi avec des mouvements afro-américains comme la Confrérie de Sang Africain. En 1924, on assiste première publication du Daily worker, organe officiel du parti. Le Communisme, suite à la Révolution russe, touche aussi les Etats-Unis.
– Chez l’establishement, on voit aussi une réaction  »positive ». Dès la victoire de Lénine, de nombreux Américains se demandent s’il ne faut pas nouer des relations avec celui-ci. Certains politiciens qui sont réputés comme farouchemment opposés adoptent aussi cette attitude : le sénateur Wheeler, un des futurs piliers de l’isolationnisme américain, recommande avant 1933 de nouer des relations avec l’Union Soviétique ! De plus, de nombreux libéraux s’intéressent à ce phénomène. L’ambassadeur Bullitt en est l’exemple parfait ( représentant durant la Guerre Civile, c’est la parfaite illustration de ces intérêt et méfiance ). La reconnaissance en 1933, par le président Roosevelt, tiendra aussi de l’influence des businessmen américains, intéréssés par le  »développementalisme » soviétique, et ses capacités de développement

– Dans une autre mesure, nous pouvons aussi souligner les répercussions culturelles de cette révolution. Tout d’abord, l’établissement d’un nouveau régime marxiste exerce une certaine fascination chez des auteurs comme John Dos Passos ( trilogie U.S.A ), Hemingway ou encore John Steinbeck ( Grapes of Wrath ). A cela se mêlent la ressemblance du fordisme américain à l’industrie soviétique, le régime des masses .Le mouvement  »futuriste » russe issu de cette révolution, exerce lui aussi une certain intérêt dans les milieux intellectuels. Des artistes comme Einseinstein à Hollywood, ou Maïakovski à New York, sont très bien accueillis dans les milieux intellectuels et artistiques américains. Ainsi, l’ampleur de la Révolution touche ainsi un domaine en plein développement aux Etats-Unis.

De fait, la Révolution Russe met en lumière les contradictions de l’opinion américaine, et les répercussions dans le pays sont multiples.

Conclusion

De fait, l’interrogation est complexe et met en lumière les contradictions de la société américaine. La question de la Révolution russe dépasse la révolution en elle-même, son propre contexte, et pose aussi bien un problème diplomatique que sociétale pour les Etats-Unis. De fait, nous nous sommes interrogés sur attitude à adopter avec le nouvel Etat en formation et ses répercussions dans le territoire national, et , en ayant vu une réaction hostile et une réaction plus nuancée, favorable à une opportunité qui s’offre à eux, on comprend toutes les contradictions des Etats-Unis vis-à-vis de cette Révolution et l’établissement du régime soviétique. Néanmoins, des relations sont établies dès 1933, et l’adhérence de l’URSS à la SDN en 1934 semble sceller ce fait. Toutefois, il y a là la présentation d’une dualité entre deux modèles qui devront s’allier durant la Seconde Guerre Mondiale pour mieux s’opposer lors de la  »Guerre Froide »

Avec en cadeau :

– John Reed, un Américain à Moscou en 1917, MARDI, 10 JUILLET, 2012 L’HUMANITÉ
– W. Gurian,pp. 411-420 , Politique étrangère, n°5 – 1949 – 14ᵉannée
– Wikipédia ( La Révolution Russe, Thomas Woodrow Wilson, Affaire Sacco et Vanzetti )
– Ethnocentrisme Et Diplomatie : L’amérique Et Le Monde Au Xxème Siècle, Collectif – 05/06/2001
-Roger Annis http://reseauinternational.net/reflexions-sur-la-revolution-russe-de-1917/, 24 Septembre 2017
– Marxisme et marxologie aux États-Unis, Pierre Birnbaum, Revue française de science politique ,Année 1968, Volume 18, Numéro, 6 pp. 1262-1273

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